Je partage ici ce texte, fruit d’une réflexion menée avec Ninon Valder
LA NÉCESSITÉ DE LA MUSIQUE DANS L’INTIME DE LA VIE
« Nous, musiciens, chanteurs, nous avons appris l’art de créer des sons et de les agencer, de faire vibrer l’air.
Faire vibrer l’air, c’est organiser la matière. C’est donc donner une direction à la vie, c’est éviter que tout retombe sans forme vers la terre. C’est permettre au cœur de battre plus léger, à l’esprit de penser plus clairement.
La musique est une des artères de la communication avec soi-même, et avec les autres. Elle structure et embellit la pulsation des jours, a le pouvoir de réguler nos émotions.
Nous avons vécu pendant ces dix derniers mois, une nouvelle forme d’organisation sociale, dix mois au cours desquels notre expression a été soudainement interrompue, et aujourd’hui l’avenir n’est qu’incertitude. Notre modèle économique tiendra-t-il ? Nos moyens de vivre seront-ils préservés ? Des questions qui légitimement nous envahissent.
Alors justement au moment où nous ressentons cette fragilité nouvelle, celle de la non-expression, d’un empêchement de communiquer et de partager, quel est l’essentiel ?
La musique commence en nous, là où nous retrouvons notre monde, notre centre, notre raison de vivre. Elle jaillit de notre besoin initial de jouer, de vibrer aux mélodies, harmonies et rythmes que nous produisons, que nous créons. C’est là, dans cette intimité de nous-mêmes à nous-mêmes, que nous trouverons la force de nous adapter aux nouvelles contraintes, et que nous pourrons rester créatifs face aux difficultés.
Aujourd’hui nous devons jouer pour nous, pour l’autre, car notre musique soigne et nous soigne, et c’est un geste fondamental que personne ne pourra nous enlever.
Les musiciens sont les rois de la plasticité cérébrale. Nous savons maintenant grâce aux neurosciences ce que notre pratique nous permettait déjà de supposer et de ressentir : la musique a de multiples bénéfices sur le corps et sur l’esprit. Berceuses, symphonies, musiques de transe, chant d’amour sont là pour en témoigner. Les ondes sonores de la musique provoquent le plaisir, augmentent la motivation, l’attention, la capacité de mémorisation, soignent la douleur, restaurent certains troubles du langage – et la liste est longue. Bref, la musique stimule de la façon la plus complète notre cerveau.
Nous, musiciens, chanteurs, nous qui avons appris l’art de créer des sons et de les agencer, de faire vibrer l’air, nous devons continuer à jouer, pour préserver et transmettre les bienfaits que nous apporte notre art.
Alors jouons autour de la table, jouons dans notre salon, pour les êtres qui nous sont chers, avec qui nous partageons nos jours. Jouons pour façonner ces matières musicales en une forme féconde qui vitalise l’alliance et l’échange.
La nécessité de la musique doit être clamée, proclamée par chacun dans un manifeste intime qui lui confère d’être l’infaillible trait d’union entre geste déterminé et action salutaire.
La nécessité de la musique n’est pas à prouver. La musique est l’expression de la vie, c’est l’énergie d’un corps, l’énergie d’un cœur, c’est l’instant présent qui ne peut être remplacé par le suivant. Elle est un outil réparateur indispensable pour tous qui dépasse les catégories professionnelles et se libère de toute forme de commerce.
Alors musiciens, chanteurs que nous sommes, professionnels, amateurs, élèves, professeurs, de musiques classiques, populaires, traditionnelles, actuelles, jazz… jouons ici, maintenant pour perpétuer l’impulsion qui nous anime et être là, prêts à créer aujourd’hui et donc demain. »
Ninon Valder – Tania Pividori / 7 janvier 2021
Ninon Valder, flûtiste, bandonéoniste, chanteuse, compositrice, explore les espaces entre la musique argentine et le jazz, développant la poésie du son et des mots. Elle collabore avec des artistes du monde entier : Colacho Brizuela (Ar), Pierrick Hardy (Fr), Leonardo Sanchez (Ar- Fr), Susanna Stivali (It), Antonio Fresa (It), Carine Bonnefoy (Fr), Katerina Fotinaki (Gr).Elle développe le CEREMUSA, Centre de Recherche de Musique et Transmission Orale situé à Bethon, dirige le trio vocal et instrumental de musique argentine Las Famatinas, compose des musiques de film (Arte, France3) et est enseignante de chant aux Glotte – Trotters (Paris).
Tania Pividori bouscule les frontières de la vocalité par son parcours éclectique.Entre pièces contemporaines, improvisations, chansons, polyphonies savantes ou de tradition orale, elle mêle les genres, et multiplie les collaborations. Les projets qu’elle fonde sont le reflet de ces alliances musicales inclassables et misent sur la singularité de la voix et la recherche de timbres atypiques : Sanacore, quatuor vocal a cappella, Voix libres avec Pablo Cueco et Patricio Villarroel, Journal d’une apparition avec Christelle Séry et Serge Adam, Le cœur sans doute avec Françoise Toullec, Des Irs, des Mots avec Denis Charolles. Diverses productions avec Giovanna Marini : « I turcs tal Friûl », « Ion », « Musiche di scena »
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